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De la fac de médecine au combat contre la contrefaçon de médicaments

Portraits
Publié le 19 Dec 2022

La contrefaçon de médicaments est un véritable fléau mondial dont les conséquences sur la santé sont dramatiques. Rencontre avec Arnaud Pourredon, 27 ans. Étudiant en médecine à Bordeaux, il est confronté à ce fléau lors d’une mission humanitaire au Népal en 2015. Il en fait alors son combat, abandonne ses études pour s’y consacrer à 100% en fondant en 2018 la start-up Meditect. L’objectif de cet entrepreneur engagé : apporter une réponse efficace à la falsification de médicaments, un enjeu de santé majeur en Afrique subsaharienne francophone.

En 2015, l’aspirant médecin en fin de deuxième année, Arnaud Pourredon part au Népal en mission humanitaire à la suite du tremblement de terre. « J’ai été fortement impacté par les photos d’hôpitaux détruits et quand j’ai vu passer un mail sur ma messagerie de l’Université de Bordeaux annonçant qu’une ONG recherchait des étudiants pour une mission humanitaire, j’y suis allé. Cela coïncidait avec une envie d’ailleurs, de me sentir plus utile. », explique-t-il. Deux semaines après avoir pris ses billets d’avion, Arnaud se retrouve sur le terrain comme assistant médical avec la Croix Rouge Internationale. Sa mission : s’occuper de la gestion des stocks de médicaments, de leurs entrées et sorties. Un travail qui se déroule dans un contexte de destruction des infrastructures sanitaires du pays. Il est alors essentiel pour son équipe d’aider à distribuer en urgence une zone dévastée, en permettant de réorganiser la dispense de soins basiques à la population, notamment pour les maladies chroniques.  « Je me suis rendu compte à ce moment qu’envoyer massivement tous types de médicaments était contre-productif, cela représentait un encombrement et une perte de temps sur place ».

 

Arnaud Pourredon Meditect Abidjan

Arnaud Pourredon devant un condensé de médicaments contrefaits et falsifiés que l’on retrouve dans la rue en Côte d’ivoire et d’autres pays (DR)

Arnaud Pourredon : « J’ai eu du mal à me remettre de ce que j’ai vu et vécu »

C’est aussi à ce moment une prise de conscience qui va modifier le cours de sa vie : « j’ai eu des faux médicaments entre les mains, ces contrefaçons présentaient des fautes d’orthographe. Ce que j’ai ressenti à ce moment m’a glacé le sang, impossible d’expliquer cette sensation d’injustice ». Diffuser ces produits falsifiés comme le souligne Arnaud Pourredon représente un triple forfait pour les criminels qui en sont à l’origine : « économique en faisant perdre de l’argent aux patients, humain en mettant leur vie en danger et sociale, car les principales victimes de ces faux sont des personnes pauvres ». Son retour de mission marque une nouvelle étape dans sa vie : « Une fois rentré du Népal, j’ai du mal à me remettre de ce que j’ai vu et vécu sur place. Au début, la difficulté était de comprendre l’origine du problème pour mieux agir ». Un processus de réflexion, d’acquisition de connaissances puis d’action qui s’étale entre 2015 et 2018. Cette période est également marquée par le choix d’Arnaud d’abandonner ses études de médecine pour entièrement se consacrer à ce projet de lutte contre la contrefaçon.

 

De faux médicaments marché de rue Abidjan

Chaque année 700 000 personnes dans le monde meurent après avoir consommé de faux médicaments (un marché en Côte d’Ivoire – DR)

Arnaud Pourredon : « Je pensais à tort que le problème provenait des brevets »

Il se documente, échange et découvre l’ONG UAEM, les universités Alliées pour les Médicaments Essentiels. L’objectif de cette association est « de faire en sorte que les médicaments essentiels soient disponibles à des prix accessibles, notamment en luttant contre les brevets empêchant les populations d’accéder à des médicaments bon marché. Pendant deux ans, je me suis beaucoup impliqué dans cette organisation. Je pensais à ce moment, à tort, que le problème provenait des brevets. Le problème, dans les pays du sud, n’est pas celui des brevets mais le fait d’assurer un accès aux médicaments à des prix abordables pour la population et leur disponibilité en pharmacie ».

 

Pharmacien à Abidjan en Côte d'Ivoire

La disponibilité des médicaments en Pharmacie à des prix abordable est un des principaux moyens de lutte contre les médicaments falsifiés (Photo DR)

Un fléau mondial, touchant particulièrement l’Afrique

C’est en Côte d’Ivoire qu’Arnaud s’installe pour poursuivre ce cheminement. Dans ce pays, les marchés regorgent de faux médicaments, médicaments falsifiés, modifiés ou encore surdosés. Selon des chiffres de 2021 partagés par le gouvernement Ivoirien, le taux de faux médicaments présents sur le marché national est de 30%. Dans le monde, 700 000 personnes meurent chaque année dans le monde après avoir utilisé de faux médicaments (soit deux fois plus que le paludisme). Au niveau mondial, selon l’OMS, le commerce de produits de santé contrefaits représente jusqu’à 200 milliards de dollars par an, l’Afrique est l’une des régions les plus touchées : 42% de tous les faux médicaments signalés à l’organisation Mondiale de la Santé entre 2013 et 2017 provenaient de ce continent.

 

Destruction de médicaments contrefaits en Côte d'Ivoire

Une saisie de médicaments falsifiés détruite par les autorités en Côté d’Ivoire (vue aérienne – DR)

Une start-up dédiée à la lutte contre les médicaments falsifiés

En 2018, Arnaud Pourredon hésite entre association et entreprise pour se lancer : « La création d’une association s’avérait très difficile à mettre en œuvre pour récolter des fonds et développer un vrai produit ». Entre temps, Arnaud prend connaissance de la directive des médicaments falsifiés en Europe, directive qui oblige les laboratoires de mettre des numéros de série sur chaque boîte de médicament : « Je comprends que c’est une opportunité pour responsabiliser en amont les laboratoires sur la distribution de leurs produits dans des pays émergents ». Cette directive, assurance de traçabilité des produits de santé, devient pour lui un argument, une opportunité. Un argument clé pour permettre aux laboratoires de mettre des numéros de série sur leurs médicaments à destination du marché Africain, et permettre la création d’une application smartphone destinée à vérifier l’authenticité des médicaments, simplement en scannant le numéro de série.

 

Pharmacien Abidjan scan médicament

Meditect permet notamment la traçabilité des médicaments sérialisés via une application (DR)

Le soutien déterminant d’un laboratoire

« En mai 2018, la région Nouvelle-Aquitaine m’a invité à participer à un salon et j’ai trouvé des investisseurs pour lancer la société. En 2019, nous réalisons notre première levée de fonds pour effectuer les premiers recrutements et enclencher le processus de développement. À la même période, mon associé et moi proposons à UPSA un projet pilote de notre solution permettant d’assurer la traçabilité avec la sérialisation d’un de leurs médicaments en Côte d’Ivoire : L’Efferalgan 500mg Effervescent. », détaille l’entrepreneur. Cela lui permet alors de lancer l’activité de Meditect dans ce pays.

 

UPSA Meditect Arnaud Pourredon

Arnaud Pourredon (deuxième à droite) sur le site de production UPSA à Agen (DR)

« La confiance et le support apportés par UPSA a permis très vite de proposer une application gratuite à plusieurs dizaines de milliers d’utilisateurs, pharmaciens et particuliers », ajoute-il. Face à ce succès, en 2021, UPSA propose à l’équipe de Meditect d’étendre le projet au Sénégal et au Cameroun. « Notre volonté est ensuite d’exporter la solution dans l’ensemble des pays d’Afrique Subsaharienne Francophone. », précise Arnaud.

Startup Meditect : Arnaud Pourredon et son équipe à Abidjan

L’équipe de Meditect (DR)

« Dans des pays comme le Rwanda, les faux médicaments ne circulent pas dans la rue car il existe une couverture santé universelle. La prochaine étape, serait la généralisation en Afrique de cette couverture maladie. En parallèle, un travail de sensibilisation expliquant aux populations que les médicaments de qualités en pharmacie ne sont pas aussi chers qu’ils le pensent est nécessaire. Cela pour leur faire quitter les marchés de rue où ils sont habitués à se rendre », conclut Arnaud Pourredon. Un travail qui doit selon lui se réaliser avec une coordination du public et du privé.

 

La traçabilité des médicaments : un pilier de l’action de l’association Tulipe

Créée en 1982 par les entreprises de santé, Tulipe est une association d’intérêt général ancrée dans une démarche collective et engagée. Tulipe, établissement pharmaceutique distributeur à vocation humanitaire, fédère les dons des entreprises de santé. Dons qui permettent de répondre, en urgence et sur le long terme, aux besoins des populations en détresse, lors de crises sanitaires aiguës, de catastrophes naturelles et de conflits. L’établissement est autorisé par l’Agence nationale de sécurité du médicament. Tulipe répond de manière optimale aux besoins des ONG de santé sur le terrain tout en assurant la traçabilité des produits de santé. Vis-à-vis des entreprises de santé, l’association gère et coordonne de façon professionnelle leurs dons lors des crises sanitaires mondiales. En effectuant des dons de produits de santé auprès de Tulipe, les entreprises du secteur et pharmaciens (seuls à pouvoir donner directement des médicaments, les particuliers n’y étant pas autorisés) transfèrent la responsabilité pharmaceutique des donations effectuées (traçabilité, retrait de lots, bonne utilisation etc.).

 

Pour en savoir plus : Meditect