[Interview] L’association Tulipe a noué un partenariat avec le Centre de crise et de soutien (CDCS) du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères en 2017. Ce service essentiel est actif 24h sur 24 et 7 jours sur 7. En cas de crise à l’étranger, il assure la protection des ressortissants français et coordonne l’action humanitaire d’urgence de la France pour venir en aide aux populations locales. Interview de Philippe Lalliot qui dirige le centre de crise et soutien (CDCS) depuis août 2023.
– Vous avez pris vos fonctions fin août dernier, comment avez-vous fait face aux crises majeures survenues depuis votre arrivée ?
– L’accélération du rythme des crises et l’augmentation de leur gravité s’ajoutent à leur superposition. Fin août, au moment de ma prise de fonctions, nous sortions à peine de la crise au Niger. Nous avons connu successivement le coup d’Etat au Gabon, puis le tremblement de terre au Maroc, les inondations en Libye, la crise dans le Haut-Karabakh dans la foulée et aujourd’hui celle touchant Israël et les territoires palestiniens. C’est une fréquence de crise très élevée. Je pense que nous n’avons jamais connu cela dans le passé. Ces crises sont de nature très disparate, qu’elles soient sécuritaires, liées à des catastrophes naturelles ou à des crises climatiques, et se produisent dans des géographies très différentes. C’est un rythme très exigeant pour les équipes ici : 110 personnes environ qui s’occupent à la fois de la gestion des crises et de l’action humanitaire. Nos équipes sont mises à rude épreuve, car elles travaillent 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, au service des autres. Toutes et tous sont des professionnels aguerris et des spécialistes très compétents. C’est un métier qui nécessite un fort engagement, un fort niveau de mobilisation, et qui ne peut être pleinement exercé que par des gens qui croient en leur travail.
– Comment le Centre de crise et de soutien fonctionne dans cette situation ? Notamment pour acheminer une aide humanitaire à destination de la population Gazaouie ?
– Le centre de crise et de soutien est une structure relativement jeune. Il a 15 ans cette année. Il a connu une montée en puissance très rapide, d’une trentaine d’agents en 2008, à 60 en 2014, et 110 aujourd’hui. Ses crédits pour l’action humanitaire ont également fortement augmenté pour atteindre cette année près de 300M€. Cette croissance rapide est le reflet de l’état du monde, caractérisé par une multiplication des crises et une augmentation de leur fréquence.
Le centre de crise et de soutien coordonne ses actions étroitement avec les ambassades, les consulats, les directions du ministère. Il travaille également avec le ministère des Armées, le ministère de l’Intérieur et la sécurité civile, le ministère de la Santé et les collectivités locales françaises ainsi qu’avec les ONG, les entreprises et leurs fondations.
L’objectif est d’agréger les compétences et les moyens des uns et des autres pour délivrer l’aide la plus pertinente et la plus efficace à un moment donné. Pour cela, le centre de crise et de soutien dispose notamment d’une unité de veille chargé de surveiller ce qui se passe dans le monde, de rendre compte de la situation et, éventuellement, de déclencher les moyens nécessaires pour intervenir à tel ou tel endroit.
Le ministère travaille en étroite collaboration avec son réseau diplomatique et consulaire, toutes nos ambassades, tous nos consulats généraux dispersés à travers la planète. Cet ensemble cherche à anticiper les crises, à analyser les situations de tension, à décider du déclenchement d’un dispositif de crise et à accompagner la sortie de crise. Cela peut durer quelques heures, quelques jours, plusieurs mois, voire plusieurs années.
Pour prendre l’exemple des territoires palestiniens, sur le strict plan humanitaire, nous avons plusieurs actions en cours. Nous avons acheminé 90 tonnes d’aide vers l’Égypte, dont 54 tonnes acheminées par des vols militaires (équipement médical et médicaments, suppléments nutritionnels, générateurs, lampes solaires, tentes…) et 33 tonnes dans un vol mis en place dans le cadre du pont aérien humanitaire de l’Union européenne, parti pour l’Égypte le 7 novembre. À bord, il y avait notamment des suppléments nutritionnels offerts par Nutriset. L’ensemble de cette aide humanitaire de la France a été remise au Croissant-Rouge égyptien sur place chargé de les acheminer à Gaza, en lien avec les différents acteurs humanitaires, et notamment les agences des Nations unies. D’autres opérations suivront.
– Dans quelles circonstances s’est montée l’opération humanitaire pour venir en aide à la population du Haut-Karabagh début octobre ?
– Le 19 septembre dernier, nous avons vu des populations arméniennes qui vivaient dans le Haut-Karabagh chercher refuge en Arménie, provoquant un exode massif. Cela a eu pour effet de saturer très vite les capacités d’accueil et de prise en charge du côté arménien.
Nous avons donc décidé qu’il était certainement utile de travailler avec tous ceux qui le souhaitaient, à commencer par l’association Tulipe, pour monter une opération d’urgence humanitaire. Cette opération a consisté à déployer un Poste sanitaire mobile. Il s’agit d’un lot de matériel médical et médicaments d’urgence. Il y a plusieurs formats de PSM, celui offert à l’Arménie permettait la prise en charge de 250 blessés graves. Cet envoi a été complété par le don offert par Tulipe de 40 malles de médicaments de médecine générale et d’urgence pour adultes et enfants. Une partie des malles de produits de santé Tulipe a été remise par la ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Catherine Colonna, lors de sa visite sur place.
« Cette collaboration est devenue essentielle pour le CDCS, qui s’appuie sur l’expertise et la réactivité de Tulipe pour répondre aux besoins humanitaires urgents » Philippe Lalliot, nouveau directeur du Centre de crise et de soutien
– Quelle a été la suite de cette action, notamment pour la population déplacée en Arménie ?
– Nos actions récentes en Arménie s’inscrivent dans un cadre plus général. Par exemple, nous avons décidé d’apporter une aide financière supplémentaire de 7 millions d’euros aux ONG, aux agences des Nations unies et au mouvement de la Croix-Rouge. Cette aide permettra d’accueillir, de prendre en charge médicalement et socialement les personnes déplacées qui se trouvent dans une situation de grande précarité. Cette aide s’ajoute aux 5,5 millions d’euros déjà alloués par la France en 2023, pour un total de 12,5 millions d’euros.
L’aide humanitaire est une première réponse d’urgence, mais il est important de la prolonger dans le temps. C’est pourquoi nous mettons en place des actions de stabilisation et de développement à moyen et long terme. Ces actions sont menées par le Centre de crise et de soutien du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, l’agence française de développement (AFD) et d’autres structures de l’État.
Ces différentes actions sont coordonnées entre elles pour garantir une cohérence globale. C’est un travail complexe qui nécessite une bonne collaboration entre plusieurs services.
– Pourquoi avoir fait appel à Tulipe pour cette opération de fret humanitaire destiné à la population du Haut-Karabagh puis à celui destiné à la population Gazaouie ?
– Depuis 2017, le Centre de crise et de soutien et l’association Tulipe entretiennent une relation qui ne cesse de se renforcer. Cette collaboration est devenue essentielle pour le CDCS, qui s’appuie sur l’expertise et la réactivité de Tulipe pour répondre aux besoins humanitaires urgents.
Ce partenariat apporte de nombreux avantages. Tout d’abord, Tulipe apporte une aide irremplaçable, car elle répond parfaitement aux besoins des équipes médicales sur place. Les missions sont calibrées en fonction des besoins exprimés, ce qui garantit la pertinence de l’aide apportée.
Deuxièmement, Tulipe est capable de projeter son aide sur de longues distances, même dans des zones difficiles d’accès. Enfin, Tulipe fonctionne dans les mêmes délais contraints que le CDCS, ce qui permet une collaboration très fluide.
La réactivité de Tulipe nous a permis de répondre rapidement aux crises récentes, notamment au Haut-Karabagh et dans les territoires palestiniens. Dans le cadre de ces opérations, Tulipe a fourni 58 malles médicales, soit l’équivalent de 30 000 traitements.
Le CDCS doit poursuivre et renforcer sa collaboration avec les professionnels de la santé et les ONG. L’action humanitaire ne peut être efficace que si elle est collective et que chacun apporte sa pierre à l’édifice.
Philippe Lalliot, nouveau directeur du Centre de crise et de soutienIl a commencé sa carrière, en 1996, à la direction des affaires juridiques du Quai d’Orsay avant d’être mis à disposition, en 1999, des services du Premier ministre, au Secrétariat général pour les affaires européennes. Il a successivement occupé, à partir de 2001, les postes de premier secrétaire à Washington puis de deuxième conseiller à la représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne à Bruxelles avant de revenir au Quai d’Orsay en tant que chargé de mission auprès du Secrétaire général. Philippe Lalliot a occupé, entre 2009 et 2013, les fonctions de consul général de France à New York, puis de directeur de la communication et de la presse, Porte-parole du ministère des Affaires étrangères. Il est nommé ambassadeur, délégué permanent de la France auprès de I’UNESCO en 2013 et, en 2016, ambassadeur aux Pays-Bas et représentant permanent de la France auprès de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques. Il était ambassadeur de France au Sénégal et en Gambie depuis septembre 2019. Normalien, énarque et lauréat de Sciences Po, Philippe Lalliot est agrégé de sciences économiques et sociales. Il est aussi titulaire d’un master en sciences administratives et d’un master en littérature française. Il a été maître de conférences à Sciences Po et à l’ENA. |