Gaëlle Girbes s’est rendue pour la première fois en Ukraine en 2017 en tant que photoreporter indépendante. Elle crée ensuite son ONG, Motanka, en 2019, afin d’aider et soutenir les populations victimes d’une guerre qui a commencé bien avant l’invasion russe du 24 février 2022. Cette invasion a changé la donne pour Gaëlle Girbes. Elle se consacre aujourd’hui quasi-exclusivement avec Motanka, à apporter une aide médicale aux Ukrainiens, en utilisant notamment les kits de produits de santé Tulipe. Nous l’avons interviewé début février.
La photoreporter et fondatrice de l’ONG Motanka en Ukraine, Gaëlle Girbes (©Jeremy Bigwood)
« Un photoreporter c’est d’abord un reporter qui écrit en images ». La photoreporter française indépendante Gaëlle Girbes, qui travaille en Ukraine depuis 2017, est passée de cette écriture par l’image à l’aide médicale d’urgence au service de celles et ceux qui étaient les sujets de ces images : les Ukrainiens. Celle qui a contribué pour Getty Image ou encore le magazine Stern et dont les photographies ont été publiées dans des médias du monde entier a choisi de donner la priorité à l’humanitaire après le début de l’invasion russe : « Ma mission pour l’ONG Motanka est passée au premier plan. Il est plus important de répondre aux besoins de la population ukrainienne que de la prendre en photo. Beaucoup de journalistes sont aujourd’hui présents en Ukraine alors qu’au niveau humanitaire, bien qu’il existe un engagement important des ONG, toutes n’arrivent malheureusement pas à accéder et agir au cœur du drame. », explique celle qui a créé son ONG en 2019. Un nom choisi en référence à la poupée Motanka, symbole ukrainien de la protection du foyer. Motanka est représentée en France par une association loi 1901, couplée avec le fonds de charité ukrainien Motanka.
Gaëlle Girbes en reportage de terrain, en, France, ses photographies ont notamment été publiées dans l’Obs (©Tyler Hicks)
Une guerre au quotidien
Tout a commencé en février 2017 pour Gaëlle avec la découverte de l’Ukraine lors d’un photo reportage : « La situation dans le Donbass en 2017 n’était ni calme, ni gelée, comme beaucoup l’ont prétendu, c’était même très intense… Je ne connaissais pas du tout l’Ukraine et très peu l’Europe de l’Est. Le conflit y était très particulier, parce que très ancien, ne ressemblant ni à un conflit interne, ni à ce que l’on a connu avec le terrorisme de Daesh. », se souvient Gaëlle Girbes qui a eu un coup de cœur pour ce peuple accueillant et courageux qu’on lui avait parfois, à tort, décrit comme brutal.
Elle commence ainsi par couvrir la guerre du Donbass qui se déroule dans l’Est de l’Ukraine (Ukraine orientale). Ce conflit oppose le gouvernement ukrainien à des séparatistes pro-russes et à la Russie. « A ce moment, la situation était différente de celle d’aujourd’hui. Il n’y avait pas de combat, pas de bombardements urbains. Il s’agissait de villages traversés par des positions militaires : des tranchées étaient en place avec des échanges de tirs d’artillerie entre les positions ukrainiennes et russes ou pro-russes, des tirs de snipers… Tout cela au milieu de villageois civils. », détaille Gaëlle, impactée par les conditions de vie dramatiques des civils pris au piège dans la zone.
Les civils ukrainiens souffraient déjà des combats bien avant l’invasion russe du 24 février 2022 (©Tyler Hicks)
La création d’une ONG pour améliorer les conditions de vie des Ukrainiens
L’amélioration de ces conditions de vie de ces civils devient la raison d’être dès la création de Motanka en 2019 : « le pire pour eux ce n’étaient plus les tirs mais de voir leur lieu de vie devenir leur ennemi. Leurs habitations commençaient à s’effondrer, à les intoxiquer, les rendre malades… Cela à cause de l’humidité et de l’insalubrité ambiante. Notre ONG avait pour objectif à ce moment d’améliorer leurs conditions en les aidant à réparer ce qui pouvait l’être, leur redonner un habitat décent, via des dons de mobilier. Tout cela pour qu’ils puissent être en meilleure santé ».
Tout bascule le 24 février 2022 : lors du début de l’invasion russe, l’entrepôt de l’ONG situé à Kharkiv est entièrement détruit. 20 tonnes de meubles neufs destinés à réhabiliter l’habitat de familles et à équiper des centres de jeunesse, brûlent entièrement.
Le basculement du 24 février 2022
« Je comprends à ce moment, que réparer des maisons, les équiper, n’avait malheureusement plus aucun sens. », explique Gaëlle qui se trouvait à Marioupol pour un reportage. Surprise par les bombardements, elle voit la population fuir le plus rapidement possible et se rend compte, en aidant un collègue blessé à fuir, de la violence des militaires russes. « Ayant travaillé pendant 6 ans en Ukraine, je savais par expérience qu’ils ne feraient pas de différence entre un journaliste, un humanitaire, un civil ou un militaire : ils sont capables de tuer tout le monde sans distinction. Après un an de conflit, je me demande encore qui les Russes n’ont pas encore pris pour cible, ils ont torturé et exécuté des journalistes, tué des humanitaires, détruit plus de 2800 écoles, ils ciblent des maternités, des hôpitaux. Tous les villages où nous agissions avaient été détruits où se retrouvaient sous occupation. Reconstruire sous les bombardements n’était plus possible. Les camions chargés de tonnes de vêtements et de nourritures arrivaient déjà. Je me suis alors rendu compte que le vrai besoin était médical, notamment à Kharkiv, sous les bombes ».
Oléna Doro, pédiatre à Kharkiv (Photo DR)
La rencontre déterminante avec la pédiatre Oléna Doro
Fin mars 2022, Gaëlle fait une rencontre déterminante à Kharkiv au moment où la ville est pilonnée. Elle fait la connaissance d’Oléna Doro, qui officiait comme médecin dans une station de métro. Elle y traite alors des personnes atteintes du Covid et des blessés. Celle qui était pédiatre vivait à proximité et au vu du danger, comme de nombreux autres habitants, s’est rendue dans le ici pour se mettre à l’abri. Oléna lui conte alors son quotidien et celui de ses patients entre l’insalubrité d’une vie souterraine prolongée et le stress causé par les bombardements, vecteurs de nombreuses affections : maladies respiratoires pour les enfants, maladies cardio-vasculaires pour les personnes âgées, diabète sans traitement… « Oléna se retrouvait complètement débordée et manquait de médicaments. Elle essayait d’en acheter avec ses revenus, mais faute de salaire, cela est vite devenu impossible ».
Les conditions de vie insalubres et prolongées dans le métro (ici à Kiev) sont des vecteurs d’affections multiples pour la population (Photo DR)
Blessée à Kharkiv
Avec Motenka, Gaëlle commence à collecter des fonds pour acheter des médicaments. Au fur et à mesure, elle s’organise, modifie les statuts de son association pour faire face à l’urgence médicale, dresse des listes précises de matériel de santé et fait appel à Virginie Gallardo de l’ONG The Heart Fund qui fait le pont avec l’association Tulipe. Les deux femmes se connaissent depuis plusieurs années et ont déjà collaboré sur d’autres sujets. « Nos ONG se sont alors mises à travailler en commun pour répondre à cette urgence. Une urgence à laquelle n’arrivent pas forcément à répondre les importantes ONG internationales. Ces ONG ont des normes de sécurité et n’ont pas la même facilité d’accès qu’ont les petites structures locales dans les zones militarisées. Vous êtes plus discrets, vous ne circulez pas en convoi humanitaire avec drapeaux et logos. Nous passons au milieu des civils et sommes plus difficiles à cibler pour les Russes. », explique Gaëlle qui a été blessée à Kharkiv fin mars 2022, lorsqu’elle circulait dans un véhicule siglé d’une ONG locale soutenue par l’ONU.
Livraison de kits de santé Tulipe à l’ONG Motanka en Ukraine (janvier 2023 -DR)
« Les kits Tulipe ont été une bénédiction »
L’objectif pour la fondatrice de Motanka après cette rencontre avec Oléna Doro est la collecte de fonds pour acheter des médicaments. « Nous passons via The Heart Fund pour Tulipe. J’envoie les listes que je reçois des Médecins et Virginie Gallardo se charge des demandes. Je me suis rendu compte en épluchant la composition des kits Tulipe qu’ils étaient bien faits et répondaient à un large spectre de demandes que nous avions sur le terrain. C’est une bénédiction, car ces kits représentent aussi un volume énorme que nous ne pourrions jamais atteindre avec une collecte classique. Cela nous a permis de faire face à de très gros besoins médicaux. Avec un kit Tulipe, nous pouvons prendre soin de 500 personnes, avec plusieurs kits cela représente plusieurs milliers de personnes ».
Des points de distribution de médicaments au plus près des populations
Les kits Tulipe sont ensuite acheminés aux médecins sur place. En parallèle, des recherches de points de distributions de médicaments sont effectuées dans les zones les plus dangereuses ou délaissées du pays. C’est notamment le cas de certains petits villages, où seuls demeurent ceux qui n’ont pu fuir : des personnes âgées ou handicapées. C’est, par exemple, dans un de ce type de lieu que Gaëlle identifie un possible point de soins : « Dans un de ces petits village, il restait une femme, dentiste. Elle y distribuait bénévolement des rations alimentaires. Elle a tout de suite pointé l’urgence médicale : celle de patients ne pouvant plus recevoir leur traitement depuis des mois. Nous avons convenu avec Motanka, qu’en tant que professionnelle de santé comptant rester sur place, elle pouvait recevoir des médicaments, lire les ordonnances et administrer des traitements à la population. Elle est alors devenue avec notre soutien médecin du village par substitution ».
Des distributions de médicaments en zone de bombardements
Motanka apporte une aide également aux hôpitaux et avant la contre-offensive ukrainienne sur Kharkiv cet automne qui avait permis de reprendre du terrain aux russes, de nombreuses missions d’acheminement de médicaments sont effectués dans des villages situés dans les zones grises, c’est-à-dire situés entre les positions russes et ukrainiennes. « Ce sont des endroits presque inaccessibles, des points chauds comme Bakhmout. Oléna y était il y a deux semaines. Le but de sa mission était d’atteindre le centre-ville de Bakhmout et de rejoindre 250 enfants abrités en sous-sol. En raison du danger elle n’a pas pu les atteindre. La veille, nous apprenons qu’un volontaire médical étranger a été tué lors d’un bombardement en essayant d’évacuer des gens. Les Russes en contre-offensive remontent sur Bakhmout, encerclée et leur prochain objectif est Kramatorsk qu’ils ont commencé à pilonner. La semaine dernière (début février), ils ont utilisé des missiles hypersoniques et 610 appartements ont été détruits ainsi qu’une maternité et un hôpital. Ils visaient le centre-ville et des zones résidentielles ».
Oléna Doro et Gaëlle Girbes en mission pour l’ONG Motanka (Photo DR)
La reconnaissance des Ukrainiens, une force pour tenir et continuer
L’ONG Human Rights Watch a d’ailleurs accusé le 21 février dernier l’armée russe de « crime de guerre » dans l’attaque au missile de la gare de Kramatorsk, dans l’est de l’Ukraine. « Nous avons dû parfois nous cacher dans des caves ou des arrière-cours pour distribuer des médicaments, comme à Mariinka et Kourakhove, car nous nous faisions tirer dessus. », ajoute Gaëlle. Pour elle, plus qu’un métier, plus qu’une mission, c’est une véritable vocation. « Je n’ai plus de vie privée, ne peux plus pratiquer de sport depuis un an et ai peine le temps de dormir. Le temps dont je dispose est entièrement consacré à la préparation de to-do list géantes et à essayer de les accomplir en temps et en heure. Le fait d’agir selon ses convictions, de donner aux autres, c’est aussi donner à soi. Cela fait un bien fou d’être utile. Le plus difficile est le sentiment d’échec, comme lorsqu’il nous a été impossible de rejoindre ces enfants abrités en sous-sol. C’est d’autant plus difficile parce que vous avez tout donné. Mais quand vous réussissez, que vous voyez le regard d’une personne qui a compris que sa santé allait s’améliorer grâce à votre action, cela vous donne une force, une force énorme. C’est ce qui permet de tenir, de continuer ».
Distribution de médicaments offerts par Tulipe le 20 septembre 2022 par l’organisation ukrainienne Dobrochynec et le docteur Oléna Doro (©Gaëlle Girbes)
Des kits Tulipe qui répondent aux situations d’urgence
Fin janvier 2023, Motanka reçoit 24 kits de l’association Tulipe, des kits pour adultes, des kits pédiatriques et des kits d’urgence. « Grâce à cela, nous pouvons agir jusqu’à la fin mars. Ils sont très adaptables et répondent à ces situations d’urgence. Situation que nous connaissons actuellement sur Bakhmout. Une partie de ces kits vont également être utilisés à Kramatorsk, dans l’hôpital civil qui accueille tous les patients de ces points chauds : des personnes blessées par balles ou à la suite de bombardements. Les kits pédiatriques et adultes sont utilisés dans les zones où des médecins travaillant avec nous peuvent interagir directement avec la population sur tout le nord-est du Donbass et d’autres zones où ont lieux des combats et où des villages sont dévastés », détaille Gaëlle qui se charge d’acheminer ces kits aux médecins situés dans ces zones et de cibler quels sont les nouveaux besoins médicaux.
Des besoins en produits de santé constants
« Nous recherchons constamment d’autres médecins mobiles travaillant comme Oléna. Certains besoins restent constants, pour les adultes : traitement pour le diabète, les problèmes artériels, la tension et les pathologies liées au stress. Actuellement pour les enfants, les besoins sont liés aux problèmes respiratoires. Nombre d’entre eux vivent dans des lieux non chauffés, quand les températures sont largement en dessous de zéro et cela durera jusqu’en avril. Dans certains hôpitaux, les opérations se réalisent sur des tables de cuisine car il n’y a plus rien. Aujourd’hui, la situation est catastrophique et c’est parti pour durer. Poutine ne signera pas d’accord de paix, n’acceptera pas de perdre. Cela n’a jamais été dans sa mentalité. J’étudie le personnage depuis des années. Il ira jusqu’au bout, même s’il doit perdre la vie, ce qui fait que beaucoup d’ukrainien vont y laisser la leur. C’est une catastrophe humanitaire dont l’Europe ne saisira l’entièreté d’après coup », conclut Gaëlle Girbes.
Pour en savoir plus et soutenir Motanka : motanka.fr
L’association Tulipe : une année de mobilisation pour l’UkraineDepuis le début de l’invasion russe en Ukraine, l’association Tulipe, avec le soutien de ses entreprises adhérentes et donatrices, a donné près de 165 tonnes de produits de santé à dix ONG et au Centre de crise et de soutien du ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Parmi les ONG récipiendaires des dons : Première Urgence Internationale, Action Contre la Faim, la Chaîne de l’Espoir, GSCF Groupement de Secours et Catastrophe Français, le Corps Mondial de Secours, AMCFU – Action Médicale et Caritative France-Ukraine ou encore the Heart Fund. Deux opérations majeures menées grâce à la fondation CGM-CMA et le Centre de crise, en mars et septembre ont également été soutenues. Une nouvelle donation d’1,5 tonnes de produits de santé est actuellement en cours d’acheminement pour l’Ukraine. |