[Portrait et interview] Attaché parlementaire, médecin pompier sur trois départements, médecin en cabinet à Grenoble, à Valence, réserviste de l’armée ou encore demi-finaliste à Ninja Warrior, le parcours du combattant télévisé : Antoine Reydellet, 33 ans, est un jeune médecin très engagé. Héros du quotidien, il est toujours à la recherche de nouveaux défis. En mars dernier, Antoine part en mission en Ukraine en tant que médecin-pompier avec l’équipe de l’association CASC APPUI Search & Rescue, il achemine 18 malles de produits de santé Tulipe sur place. Retour sur son parcours et les péripéties de cette mission en Ukraine.
Il a fallut 33 heures de voyage en Europe et plusieurs péripéties avec la douane Moldave pour que l’équipe de l’association CASC APPUI Search & Rescue achemine les produits de santé de l’association Tulipe. Antoine Reydellet est au centre de la photo. DR
Son parcours est à la fois impressionnant et atypique. Après deux échecs en première année de médecine en France, Antoine Reydellet choisit de partir en Roumanie pour rempiler. « Premier pas pris » en 2010 avec 14,92 de moyenne, il fait ce choix pour ne pas recommencer la 3e en France avec un programme inconnu. 2010 marque en effet la première année commune aux études de santé (PACES) qui remplace les premières années du premier cycle des études de pharmacie et du premier cycle des études de médecine. Antoine retourne ensuite en France pour sa 4e année en tant qu’étudiant Erasmus, ce qui lui permet de passer un certain nombre de matières en avance. Après ses 5e et 6e années en France, à Lyon et l’obtention de son diplôme de médecin, il décide de passer son concours d’internat dans la même ville en choisissant la spécialité médecine du travail. « Cette spécialité médecine du travail est intéressante car vous n’avez jamais le même type de consultation. Puisque vous avez tous les métiers du monde, vous en découvrez de nouveaux chaque jour, de l’ouvrier en papeterie au directeur sportif ».
Président de syndicat, attaché parlementaire
Lors de sa première année d’internat Antoine Reydellet devient secrétaire général de l’InterSyndicale Nationale des Internes (ISNI) pour Lyon. Puis, il devient secrétaire général national de l’ISNI lors de sa deuxième année d’internat. L’année suivante, le jeune médecin devient président de l’ISNI (2018-2019), ce qui lui permet de rencontrer de nombreux acteurs de la santé et décideurs à travers la France. Parmi ses chevaux de bataille, la lutte contre la désertification médicale : « j’étais convaincu durant mon mandat que les solutions pour lutter contre cette désertification ne viendraient pas de Paris mais des territoires. J’ai entamé alors un tour de France pour voir quels dispositifs étaient mis en place et ceux qui fonctionnaient comme le dispositif des médecins-pompiers en Ardèche, créateur de lien social. Après avoir visité une soixantaine de départements dont la Sarthe où j’ai rencontré le député Jean-Carles Grelier dont je suis aujourd’hui attaché parlementaire ». Malgré ce poste, il continue à exercer plusieurs postes de médecin, dont celui de médecin pompier. C’est dans ce cadre qu’Antoine Reydellet part en mission en Ukraine quelques jours seulement après le début des hostilités déclenchées par les Russes.
Antoine Reydellet médecin-pompier en mission en Ukraine (mars 2022). DR
L’interview d’Antoine Reydellet : « Nous avons été confrontés à une situation dont nous n’avions pas conscience en France »
Comment s’est déroulée votre départ en direction de l’Ukraine ?
Les malles Tulipe étaient transportées via le véhicule de secours à victime des pompiers. Nous sommes partis avec l’association CASC APPUI Search & Rescue, une association de pompiers du Rhône, le vendredi 11 mars 2022 avec deux ambulances rouges et un camion de transport logistique. Il y avait 33 heures de route depuis Lyon pour rejoindre la frontière entre la Moldavie et l’Ukraine. Nous sommes passés par le nord de l’Italie, par la Slovénie, puis par la Hongrie. Nous avons ensuite traversé la Roumanie après être entrés par Timisoara. Une fois le pays traversé, nous avons atteint la frontière roumano-moldave. Nous avons été confrontés à une situation dont nous n’avions pas conscience en France, c’est qu’il y avait beaucoup de douaniers moldaves pro-russes. Les douaniers ont donc bloqué notre entrée dans le pays tout comme d’autres convois humanitaires. Certains d’entre eux transportaient des denrées périssables. Ce blocage a eu lieu en pleine nuit, du samedi au dimanche 13 mars. Sur les 9 personnes de l’équipage j’étais le seul à parler roumain car j’ai fait trois ans d’études de médecine là-bas ayant été un des seuls étudiants à avoir pu entrer en cours de cursus. J’ai donc dû négocier avec les douaniers. Pour eux rien n’allait. Ils ont fini par nous demander une autorisation spéciale du ministère de la santé moldave pour introduire des médicaments en Moldavie. Cela, même si nous leur avions expliqué que les médicaments étaient à destination des Ukrainiens. Au bout de deux heures de négociation j’ai dit à mon colonel qui était sur place avec nous que je connaissais bien la ville roumaine de Iaşi qui était à 20 km du poste frontière. Nous y avons donc trouvé un hôtel pour pouvoir se reposer après 30 heures sans dormir.
Des douaniers Moldaves, pro-russes, ont bloqué le convoi humanitaire de l’association de pompiers. DR
Et ensuite, comment avez-vous résolu ce problème avec la douane aux frontières ?
Une fois installés à l’hôtel, j’ai commencé à appeler mes contacts à l’Assemblée nationale et notamment le député Jean-Carles Grelier dont je suis attaché parlementaire. Nous avons commencé à contacter les ambassades, sachant que nous étions dimanche, il n’y avait pas grand monde disponible. Sur les coups de 11h30-12h, après un point, l’Ambassade de France en Moldavie nous annonce que cela devrait être résolu. Nous retournons alors au même poste frontière que la veille. De nouveau, les gardes-frontières refusent de nous laisser passer. Nous apprenons alors qu’un corridor humanitaire est ouvert via un autre poste situé à 1h30 plus au sud. Nous décidons donc de nous y présenter. Une fois arrivés au poste frontière plus sud, notre groupe se retrouve bloqué entre les postes roumain et moldave. C’était encore pire car il nous était impossible de faire marche arrière. Certains chauffeurs de camions de denrées périssables, bloqués au même endroit, nous ont expliqué qu’ils étaient bloqués depuis deux jours. Les gars de l’équipe commençaient à en avoir assez, nous avons alors commencé à travailler sur un plan de repli à Constantza en Roumanie où il existait une base arrière humanitaire en contact direct avec l’Ukraine avec un contingent français stationné sur place. A 20h après, 10h sur place, Jean-Carles Grelier intervient de nouveau avec insistance auprès des services de l’Ambassade de France en Moldavie et en Roumanie qui n’arrivent pas à débloquer la situation. Finalement, la ministre de la Santé moldave appelle le bureau des douanes du poste frontière, ce qui débloque instantanément la situation.
« Une fois arrivés, ils décompensaient complètement. Certains moments ont été marqués par des scènes d’extrême tension »
L’équipe de l’association CASC APPUI Search & Rescue a été au contact des réfugiés ukrainiens qui passaient la frontière. DR
Comment s’est déroulée la mission une fois le poste frontière passé ?
Nous passons la frontière sans contrôle de cargaison. Arrivés en Moldavie, nous avons fait halte à Chișinău pour la nuit. La mission initiale était de déposer les médicaments à Médecins sans Frontières qui devait les dispatcher dans les hôpitaux. Une fois retrouvé le poste de groupe de l’ONG à Chișinău, ils nous annoncent qu’ils n’attendent pas de médicaments. Cela s’est alors transformé en casse-tête car nous ne savions pas quoi faire de toutes ces malles. Il était hors de question de repasser la douane moldave avec. Nous nous sommes alors rendu compte que la demande n’était pas très importante à ce moment-là du côté de l’Ukraine mais qu’elle l’était du côté moldave car l’Ukraine qui fabriquait les médicaments du pays n’avait plus la capacité de le faire depuis l’invasion russe. Les malles Tulipe ont été réparties entre Médecins sans Frontières et la Moldavie, notamment un hôpital d’État à Chișinău. Ce type d’hôpitaux accueille les patients les plus modestes dans des conditions assez rudimentaires. En fin de mission, les médicaments restants ont été remis à Médecins sans Frontières pour l’Ukraine. Vu l’importante donation, il y en avait encore pas mal de côté.
Les pères de familles ukrainiens accompagnaient femmes et enfants à la frontière avant de repartir en sens inverse. DR
Quels ont été vos contacts avec la population ukrainienne ?
Nous intervenons directement et possédons les autorisations données par Médecin sans Frontières pour exercer notre métier de médecin. Nous passions tous les jours à Palanka qui est située à la frontière ukraino-moldave. Les flux de population ukrainienne y arrivent par bus, avec leur propre voiture ou à pied avec les quelques biens qu’ils avaient pu emporter rassemblés dans de simples sacs de courses. Souvent lorsque les voitures arrivaient à la frontière, c’étaient les pères de famille qui laissaient femmes et enfants puis repartaient dans l’autre sens car ils n’avaient pas le droit de passer la frontière. Les échanges avec les réfugiés se déroulaient en anglais, d’autres parlaient le roumain, j’étais alors sollicité. Nous nous sommes rendu compte qu’il n’y avait pas tant de pathologie de type affection longue durée. Nous rencontrions surtout des personnes épuisées psychologiquement et qui avait besoin d’un soutien moral et psychologique. Parfois, nous les aidions juste à porter leur sac. Les futurs réfugiés n’avaient qu’une seule hâte : passer la frontière. Une fois arrivés, ils décompensaient complètement. Certains moments ont été marqués par des scènes d’extrême tension. Ce fut le cas, lorsqu’un homme, soupçonné d’être un espion russe a été sorti de sa voiture puis a commencé à être tabassé. Nous l’avons alors recousu. Il y avait toujours quelque chose à faire. Les Ukrainiens étaient très fiers, ils ne voulaient pas paraître comme réfugiés, un statut difficile à accepter pour eux.
Les sapeurs-pompiers français au contact des réfugiés venus d’Ukraine. DR
Qu’est-ce qui vous a impacté lors de cette mission ?
Ce n’était pas ma première mission en zone de guerre mais ce qui m’a impacté à ce moment c’est le fait que cette guerre se déroule à nos portes, pratiquement chez nous. Le fait également que des civils et plus particulièrement des enfants soient touchés. Lors de ma mission en mars, la situation était instable, les bombardements étaient quotidiens. Notre sécurité était directement menacée. Ce contexte était très étrange : celui de voir passer tous les jours des convois transportant des armes lourdes, des chars… Je n’y étais pas en tant que militaire mais comme pompier. Nous n’avions donc pas de gilet par balles, pas d’armes. Nous avions juste notre matériel médical.
Et après votre retour en France ?
Nous avons effectué le trajet retour d’une traite sans faire aucune pause d’étape car nous étions pressés de rentrer, ces dix jours ont été pour nous d’une intensité sans commune mesure. Une fois à Lyon, il m’a fallu une semaine pour m’en remettre. Il m’était très difficile de voir des enfants. J’ai repris mes astreintes de médecin chez les pompiers deux jours après mon retour de mission. Une de mes premières interventions s’est déroulée lors de l’explosion d’une bonbonne de gaz. Les pompiers arrivés sur place n’avaient pas eu le temps de s’équiper, ils ont été blastés par le souffle de l’explosion et la bonbonne a atterrit au milieu de la cour d’un collège. Le SAMU a demandé que j’y aille, je leur ai dit que je ne préférais pas m’occuper d’enfants cette première semaine de reprise.
Etes-vous retourné en Ukraine après cette mission ?
On m’a proposé de revenir mais je n’ai pas accepté. Une des raisons est qu’ici, en France, nous manquons de moyens, particulièrement de médecins. A Lyon, nous devrions être 8 médecins pompiers, nous ne sommes que trois alors qu’il y a des besoins énormes. Il existe en France des zones de grande détresse … Trois mois après l’Ukraine, j’ai par exemple été appelé pour une terrible fusillade au nord de Lyon impliquant quatre jeunes de moins de 20 ans dont deux sont décédés et deux autres grièvement blessés. Cela devient une norme pour les gens qui vivent dans ces zones au quotidien.