Soutenus depuis le début de la guerre par l’association Tulipe, les ONG Motanka, le Comité d’Aide Médicale Ukraine et l’Association Aide Médicale & Caritative France-Ukraine (AMCFU) reçoivent une aide précieuse sous forme de produits de santé. En 2024, Tulipe a expédié 98,5 tonnes de produits en Ukraine, représentant 65 % de son activité annuelle. Ces chiffres, valables au 31 octobre, se comparent aux 148 tonnes envoyées au 31 décembre 2023. Sur l’année, douze opérations de dons de produits de santé aux ONG ont été réalisées, et trois sont encore prévues d’ici fin décembre. A l’occasion des 1000 jours du début de l’invasion russe en Ukraine, nous donnons la parole à trois personnalités qui œuvrent actuellement sur le terrain :
Quels ont été les principaux défis rencontrés dans la distribution des produits de première nécessité fournis par Tulipe, et comment ont-ils été surmontés dans le contexte actuel ?
Dr Tania Hoydash, médecin coordinatrice du Comité d’Aide Médicale Ukraine :
« Les défis ont principalement porté sur l’identification des bénéficiaires prioritaires et la logistique. Nous avons pu compter sur nos contacts au sein de la communauté médicale, des organisations de volontaires, et des agences de protection sociale pour prioriser efficacement les bénéficiaires. En termes de logistique, notre partenariat avec Nova Poshta, la plus grande entreprise de logistique en Ukraine, a permis des livraisons gratuites et rapides des produits essentiels de Tulipe. Nous avons également collaboré avec des organisations partenaires dans différentes régions pour atteindre ceux qui en avaient le plus besoin. »
Gaëlle Girbes, fondatrice de l’ONG Motanka :
« La principale difficulté reste la douane, d’autant plus depuis la nouvelle loi du 1er décembre 2023 qui impose un contrôle total des dons humanitaires entrants. Nous devons fournir de nombreux documents administratifs, ce qui est difficile à gérer dans le contexte actuel. Nous n’avons qu’un mois pour fournir tous les certificats de donations aux douanes. Comme nos convois depuis la France sont prévus pour des périodes de six mois, nous ne pouvons pas tout distribuer en un mois, ce qui rend impossible une aide matérielle conséquente depuis la France. Nous en sommes arrivés à acheter localement, limitant ainsi notre capacité d’action. Cette loi impacte également les volontaires locaux, qui tentent de faire évoluer la situation auprès des autorités. »
Diana Dols, directrices des opérations humanitaires, Association Aide Médicale & Caritative France-Ukraine (AMCFU) :
« Depuis près de trois ans de guerre à grande échelle, nous avons été confrontés à des défis multiples et évolutifs. Au début de l’invasion, la rupture brutale de la chaîne logistique des produits médicaux a été l’un des premiers obstacles. À cela s’ajoutait une augmentation soudaine et massive des blessés de guerre, ce qui a rapidement saturé les capacités locales. La destruction des dépôts pharmaceutiques, l’inaccessibilité de certaines zones de production et des bénéficiaires, notamment dans les territoires occupés ou proches des combats, ont rendu la situation encore plus critique.
Grâce à notre expérience acquise depuis 2014 dans les régions de Donetsk et Louhansk (suite à la guerre dans l’est de l’Ukraine), et à notre réseau de partenaires locaux et internationaux, nous avons pu réagir rapidement. Nous avons mobilisé divers acteurs : des hôpitaux, des municipalités, divers ministères et services de santé, l’association ukrainienne des transporteurs routiers, des ONG locales, ainsi que des bénévoles qui, parfois au péril de leur vie, ont utilisé leurs propres véhicules pour livrer l’aide dans des zones dangereuses.
Après la libération de plusieurs territoires, de nouveaux défis sont apparus. Ces zones, souvent fortement endommagées et encore partiellement minées, nécessitaient une approche adaptée et une réponse rapide. Nous avons collaboré avec les administrations locales et les équipes de stabilisation pour identifier les besoins prioritaires. L’un des épisodes marquants a été la livraison de médicaments à des hôpitaux délibérément minés lors du retrait des troupes russes et dont les territoire ont été encore en cours de déminage.
Aujourd’hui, les défis restent nombreux, notamment dans les zones sinistrées ou isolées où les infrastructures médicales et les pharmacies sont souvent inexistantes suite aux destructions et de l’insécurité persistante. Nous concentrons nos efforts sur ces territoires pour garantir l’accès aux médicaments essentiels et aux soins, en collaborant étroitement avec les établissements de soins primaires, souvent les seuls à pouvoir intervenir dans ces régions reculées. Ces équipes, plus mobiles, assurent des livraisons dans des zones difficiles d’accès.
Nous soutenons le développement d’initiatives comme les pharmacies ambulantes, bien qu’elles ne soient pas encore suffisamment étendues pour couvrir tous les besoins. Nous nous coordonnons également avec le ministère de la Santé de l’Ukraine, qui centralise la collecte des besoins via son système électronique. De notre côté, nous veillons à acheminer rapidement les dons, nous nous efforçons avec Tulipe à fluidifier les livraisons et de réduire leurs délais. »
Comment les dons de produits de santé par Tulipe ont-ils contribué à améliorer les conditions de vie et de santé des populations en Ukraine, et quels impacts concrets avez-vous observés ?
Dr Tania Hoydash :
« L’aide de Tulipe a permis de répondre à trois besoins critiques : fournir des médicaments essentiels et consommables pour les personnes en première ligne des régions de Kharkiv, Kherson, Zaporizhzhia, Chernihiv, et Odesa, souvent incapables de les acheter faute de moyens ou de pharmacies à proximité ; renforcer la capacité des institutions médicales à répondre aux besoins des populations vulnérables ; et combler les périodes où les financements de l’État ne couvrent pas tous les besoins. Grâce à cette aide, les établissements de santé ont pu rester opérationnels et maintenir un stock de médicaments vitaux pour les populations affectées. »
Gaëlle Girbes :
« Sur le terrain, les produits Tulipe sont distribués dans des zones où il n’y a plus d’accès aux soins : pas de cabinets médicaux, pas de pharmacies, et les hôpitaux sont détruits. Ces médicaments permettent à des milliers de personnes de suivre leurs traitements, notamment pour des maladies chroniques comme le diabète, l’hypertension, et les troubles cardiaques, qui ne peuvent pas être interrompus. Nos partenaires, médecins volontaires, peuvent ainsi soigner et fournir des traitements gratuits à leurs patients. En visitant ces lieux, je constate l’impact de notre aide : les personnes peuvent continuer leurs traitements, et les maladies hivernales peuvent être traitées, ce qui est crucial pour ces populations fragiles, constituées majoritairement de personnes âgées. »
Diana Dols :
« Les contributions de Tulipe ont eu un impact significatif, particulièrement en réponse aux urgences. Dès les premiers mois de l’invasion, leurs dons ont permis de répondre aux besoins les plus critiques : traiter un grand nombre de blessés, soutenir des hôpitaux attaqués ou encore intervenir rapidement dans des territoires libérés où les habitants étaient privés de soins depuis des mois.
Il est difficile de lister toutes les actions menées, mais certaines illustrent parfaitement cet impact. En 2022, nous étions concentrés pour soutenir des établissements situés dans des zones en cours d’invasion ou d’encerclement, et d’apporter une aide immédiate aux territoires récemment libérés (2022 – 2023). En 2024, nous poursuivons nos efforts dans des villes comme Nikopol, régulièrement frappée par des drones et de l’artillerie dans la région de Dnipro, ou encore à Izioum, dans la région de Kharkiv.
En mai dernier, des livraisons d’Enoxaparines ont permis de répondre à la situation d’explosion de besoins suite à la nouvelle offensive russe lancée sur la région de Kharkiv. Plus récemment, en septembre, après une attaque de missiles bloquant l’accès à l’entrepôt pharmaceutique de l’hôpital régional de Kharkiv, nous avons acheminé un stock d’urgence pour garantir la continuité des soins.
Au-delà des urgences, ces dons permettent de maintenir l’accès aux soins dans des régions particulièrement fragiles. À Tchernihiv, par exemple, les médicaments sont distribués aux hôpitaux mais aussi aux populations par des équipes de soins primaires qui se rendent dans des villages isolés, devenus de véritables déserts médicaux.
Enfin, ces donations sont un pilier important pour un système de santé affaibli par la guerre. Elles répondent à des besoins variés, qu’il s’agisse de prise en charge de victimes de la guerre ou de traitements pour maladies chroniques, saisonnières ou graves comme le cancer. Lors de notre récente rencontre avec le ministre de la Santé, Viktor Lyashko, il a confirmé que ces soutiens étaient appréciés et indispensables pour éviter l’effondrement total du système.
En somme, au-delà de leur impact médical, ces produits donnent aux Ukrainiens un message d’espoir : celui qu’ils ne sont pas seuls face à cette guerre et à ses conséquences. »